On ose nous dire que l'État ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes. Mais comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l'Europe était ruinée ? Sinon parce que le pouvoir de l'argent, tellement combattu par la Résistance, n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'État. Les banques désormais privatisées se montrent d'abord soucieuses de leurs dividendes, et des très haut salaires de leurs dirigeants, pas de l'intérêt général. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches n'a jamais été aussi important; et la course à l'argent, la compétition, autant encouragée.
Stéphane HESSEL
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Extraits du livret de Karl MARX : « L’argent danse pour vous »Shakespeare dans Timon d'Athènes
« De l'or! De l'or jaune, étincelant, précieux! Non, dieux du ciel, je ne suis pas un soupirant frivole ... Ce peu d'or suffirait à rendre blanc le noir, beau le laid, juste l'injuste, noble l'infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche ... Cet or écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs; il arrachera l'oreiller de dessous la tête des mourants ; cet esclave jaune garantira et rompra les serments, bénira les maudits, fera adorer la lèpre livide, donnera aux voleurs place, titre, hommage et louange sur le banc des sénateurs ; [...]. Allons, métal maudit, putain commune à toute l’humanité, toi qui mets la discorde parmi la foule des nations. »
Et plus loin:
« O roi, doux régicide, cher argent de divorce entre le fils et le père, brillant profanateur du lit le plus pur d'Hymen, vaillant Mars, séducteur toujours jeune, frais, délicat et aimé, toi dont la splendeur fait fondre la neige sacrée qui couvre le giron de Diane, toi dieu visible qui soudes ensemble les incompatibles et les fais se baiser, toi qui parles par toutes les bouches et dans tous les sens, pierre de touche des cœurs, traite en rebelle l'humanité, ton esclave, et par ta vertu jette-la en des querelles qui la détruisent , afin que les bêtes aient l'empire du monde. »
[Et le jeune MARX de commenter] : Shakespeare décrit parfaitement l'essence de l'argent.
[Puis :]
Moi qui par l'argent peux tout ce à quoi aspire un cœur humain, est-ce que je ne possède pas tous les pouvoirs humains? Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ?
L'argent rend ton amour impuissant
Si l'argent est le lien qui me rattache à la vie humaine, qui lie à moi la société et qui me lie à la nature et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les liens? Ne peut-il pas dénouer et nouer tous les liens? N'est-il pas non plus de ce fait le moyen universel de séparation ? Il est la vraie monnaie divisionnaire, comme le vrai moyen d'union, la force chimique universelle de la société.
Shakespeare souligne surtout deux propriétés de l'argent :
1. Il est la divinité visible, la transformation de toutes les qualités humaines et naturelles en leur contraire, la confusion et la perversion universelle des choses ; il fait fraterniser les impossibilités.
2. Il est la courtisane universelle, l'entremetteur universel des hommes et des peuples.
La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités -la force divine de l'argent - sont impliquées dans son essence en tant qu'essence générique aliénée, aliénante et s'aliénant, des hommes. Il est la puissance aliénée de l'humanité.
[Conclusion du jeune MARX : ] Si tu considères que l’homme se réalise en tant qu’homme, et que son rapport au monde se réalise en tant que rapport humain, tu ne peux échanger que l’amour contre l’amour, la confiance contre la confiance. Si tu veux jouir de l’art, tu devras être un homme ayant une culture artistique ; si tu veux exercer de l’influence sur les autres hommes, tu devras être un homme qui ait une action réellement animatrice et stimulante des autres hommes. Chacun de tes rapports à l’homme et à la nature devra résulter d’une manifestation déterminée, répondant à l’objet de ta volonté, de ta vie individuelle réelle. Si tu aimes sans faire naître d’amour réciproque, c’est-à-dire si ton amour, en tant qu’amour, n’engendre pas l’amour réciproque, si par ton expression vitale en tant qu’homme aimant, tu ne te transformes pas en homme aimé, ton amour est impuissant et c’est un malheur.
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